Sur le plan économique, c’est principalement l’effondrement du prix des matières premières qui a noué la corde au cou des pays émergents. Et c’est malheureux à plus d’un titre. Bien entendu, la baisse du prix des matières premières a porté un sérieux coup aux recettes d’exportation. Compte tenu de la part importante des matières premières dans les exportations et de la chute des prix, on peut même affirmer que le revers subi du côté des recettes est gigantesque. En revanche, du côté des importations, le prix des produits finis que la plupart des pays émergents font acheminer n’a presque pas baissé.
L’effondrement du prix des matières premières a donc fortement entamé le « taux de change » de ces pays, nombre d’entre eux affichant désormais une balance commerciale déficitaire. Cela met malheureusement aussi en lumière le fait que les pays émergents n’ont pas su profiter suffisamment de la conjoncture favorable dont le prix des matières premières a bénéficié pendant de nombreuses années pour améliorer leur structure économique sous-jacente. Et cela confirme que l’augmentation du prix des matières premières s’est en partie révélé un cadeau empoisonné pour les pays émergents : les bénéfices, tirés facilement et rapidement de l’exploitation de matières premières, l’ont trop souvent emporté sur les efforts intenses et soutenus requis par le développement industriel. À présent que le prix des matières premières commence à baisser, les faiblesses fondamentales de chaque pays refont surface.
Il se confirme malheureusement aussi que suivant une tradition locale peu recommandable, ces profits facilement tirés des matières premières ont souvent pris le chemin de la poche des dirigeants politiques. Les grands scandales de corruption, notamment au Brésil (Petrobras), en Malaisie (dont le président a dérobé 700 millions USD aux caisses de l’État) et au Nigeria, démontrent que les normes éthiques de ces pays n’ont pas encore le niveau requis et que la politique constitue encore trop souvent un moyen d’alimenter sa fortune personnelle. Mais les populations de ces pays ne l’acceptent plus depuis qu’elles souffrent des conséquences de la récession et des troubles sociaux se sont dès lors ensuivis. Une lueur d’espoir réside peut-être au Brésil dans le fait que la structure juridique a été renforcée à un point tel qu’il semble que les coupables seront effectivement condamnés, ce qui pourrait renverser à terme ce type de situation intolérable.
Bref, il ne fait aucun doute que la santé des pays émergents n’est pas au beau fixe. Mais ils ont en plus la malchance d’être exposés à un facteur externe très important. En effet, plusieurs données économiques favorables aux États-Unis ont emporté la conviction que la première augmentation des taux depuis des années est imminente. Le marché a estimé que la probabilité d’une augmentation des taux en septembre était supérieure à 50% et que celle d’une augmentation des taux d’ici la fin de l’année était supérieure à 75%. L’augmentation des taux aux États-Unis stimule bien entendu le pouvoir d’attraction des investissements en obligations américaines, mais elle signifie aussi une majoration du coût des fonds empruntés pour financer de nombreux investissements dans les pays émergents. Les investisseurs, qui ne se souviennent que trop des pertes que la menace d’une augmentation des taux américains avait provoquées en 2013, se sont montrés toujours plus fébriles à la perspective d’une remontée des taux. De nombreux investisseurs ont probablement préféré jouer la carte de la prudence et ont donc revu leurs positions à la baisse au premier signe d’agitation.
Et de l’agitation il y en a eu plus qu’à notre goût. La bourse chinoise a entamé mi-juin une baisse aussi rapide que la progression vertigineuse qui l’avait précédée. Plus inquiétant encore, les autorités chinoises – jusque-là réputées infaillibles – n’ont pas semblé en mesure d’enrayer la chute des cours, quelles que fussent les mesures de soutien annoncées. Cela a probablement été l’un des facteurs qui a contribué à la décision de la Chine, autant inattendue que dramatique, de dévaluer le Yuan pour donner un nouveau souffle à la machine chinoise des exportations. Il n’en fallait pas plus pour que cette décision soit le dernier clou dans le cercueil des pays émergents. En effet, la décision des autorités chinoises a sapé la compétitivité à l’export d’autres pays émergents qui avaient progressivement repris le rôle de plateforme de production à bas coût autrefois joué par la Chine (notamment le Vietnam, les Philippines, l’Indonésie, …). Les devises de ces pays ont alors subi une forte pression à la baisse et quelques-uns d’entre eux ont réagi en procédant à leur tour à une dévaluation compétitive. Cette réaction a accéléré la fuite des capitaux, ce qui n’a fait que renforcer les problèmes des pays émergents. En effet, afin d’empêcher que leurs réserves de devises ne se vident, ces pays doivent relever leurs taux, ce qui entraîne une nouvelle contraction de leur économie...
Les pays émergents semblent donc pris dans une spirale descendante : leur situation socioéconomique lamentable provoque une fuite des capitaux, ce qui ne fait qu’entamer davantage leur économie. Mais il existe plusieurs raisons de ne pas désespérer. La croissance des pays occidentaux n’a jusqu’à présent pas été touchée par les turbulences sévissant dans les pays émergents, ce qui – combiné à la dévaluation des devises – ouvre des perspectives en termes d’exportation. Ceci permettra peut-être de mettre un terme à la spirale négative. Et comme toujours, les grands problèmes débouchent plus facilement sur des réformes que lorsque tout va bien. Ces réformes, tant sur le plan économique que politique et juridique, sont absolument nécessaires pour esquisser un modèle de croissance plus stable. Si les pays émergents parviennent à en récolter les fruits à long terme, les analystes conseilleront à nouveau d’acheter. Mais avant d’en arriver là, les acheteurs ont tout intérêt à continuer à faire un pas de côté…