Supposons que vous êtes propriétaire d’un bien immobilier qui n’est pas destiné à l’habitation (terres agricoles, bois, immeuble industriel ou commerce de détail). Vous souhaitez transmettre ce patrimoine immobilier à vos enfants tout en conservant le contrôle sur ce bien immobilier jusqu’à votre décès (gestion, vente, etc.).
Afin de maintenir l’intégrité de ce patrimoine et d’éviter un morcellement entre vos héritiers, vous décidez de l’apporter (à l’exception de l’habitation familiale) à une société patrimoniale, constituée sous la forme d’une SPRL[1]. Bien entendu, il est possible d’apporter un bien immobilier résidentiel à une société immobilière mais cette opération est coûteuse : en effet, à l’occasion de cet apport, des droits d’enregistrement de 10% ou 12,5% seront dus (en fonction de la Région où se situe le bien ; en Région flamande 10%, en Région de Bruxelles-capitale 12,5% ou en Région wallonne 12,5% ou 15%). En outre, un « avantage de toute nature » sera retenu si ce bien est mis à disposition d’un dirigeant d’entreprise ou d’un administrateur de la société.
Ensuite, vous procédez à la donation des parts de cette société patrimoniale, avec réserve d’usufruit. Après votre décès, vos héritiers envisagent de dissoudre et de liquider la société patrimoniale[2].
Dans l’article « Comment sortir un bien immobilier de votre société ? » publié dans Analyses de novembre 2015, nous avons vu que le législateur soumet la sortie d’un bien immeuble à une société patrimoniale ayant la forme d’une SNC[3], une SCS[4], une SPRL[5] et une Soc. Agr.[6] au paiement du droit de vente de 10% ou 12,5%[7].
Il existe cependant une exception : les droits de vente ne sont pas dus lorsque le bien est attribué, dans le cadre de la liquidation, en indivision aux associés.
Ce n’est que lors d’une sortie d’indivision ultérieure entre associés que le droit de vente (la règle générale) sera dû plutôt que le droit de partage[8] (le régime fiscal favorable). Pour que le droit de partage soit appliqué, il faut satisfaire à certaines conditions (lire l’article « Comment sortir un bien immobilier de votre société ? »). Ce régime fiscal favorable n’est pas prévu pour les SA[9], ni pour les SC[10] qui détiennent des biens immobiliers : la sortie d’un bien immobilier sera donc soumise au droit de vente.
VOS ENFANTS PEUVENT-ILS BÉNÉFICIER DE CE RÉGIME FISCAL FAVORABLE ?
La question est de savoir si vos enfants, qui n’étaient pas associés au moment de l’achat du bien immobilier par la société (ou de l’apport du bien à la société), peuvent bénéficier – en leur qualité d’héritier ou de donataire – du droit de partage.
La réponse est affirmative dans la mesure où vos enfants héritent (d’un nombre limité) des actions de la société patrimoniale[11]. Le droit de partage sera applicable à l’opération de sortie du bien si toutes les actions de la société patrimoniale ne leur ont pas été données.
Dans cette hypothèse, où une partie des actions de la société patrimoniale ont été données à la génération suivante (par exemple 98%), vos héritiers pourront bénéficier du droit de partage. De cette manière, les 2 % restants resteront à votre nom et reviendront à vos héritiers en raison de la liquidation de votre succession.
Il est donc sage – en cas de donation des actions – de conserver une participation limitée et de laisser revenir ces avoirs au bénéficiaire via la succession (éventuellement via testament), afin de pouvoir bénéficier du droit de partage dans le cas où le(s) bien(s) immobilier(s) devrai(en)t sortir de la société après le décès du donateur.
QU’EN EST-IL DE L’ASSOCIÉ QUI NE PEUT PAS BÉNÉFICIER DU RÉGIME FISCAL FAVORABLE ?
Si l’actionnaire acquéreur ne peut se prévaloir du régime fiscal favorable (par exemple, si la société patrimoniale a adopté la forme d’une SA ou d’une SC), on pourrait envisager dès le départ (à savoir, au moment de l’achat) de créer une indivision entre la société d’une part, et un ou plusieurs actionnaires d’autre part. Ainsi, lors d’une sortie ultérieure de l’immeuble de la société, l’opération consistera en une simple sortie d’indivision soumise au droit de partage.
Lors d’une telle sortie d’indivision, l’administration fiscale a, jusqu’à 2014, toujours perçu le droit de partage. Toutefois, le point de vue de l’administration a changé au sens où la sortie d’indivision entre une société et des copropriétaires (lisez : les actionnaires) doit être soumise au droit de vente en lieu et place du droit de partage. Ce point de vue fait l’objet de critiques.
TRANSFORMATION DE LA SA EN SPRL POUR BÉNÉFICIER DU RÉGIME FAVORABLE ?
Lorsqu’en tant qu’actionnaire, vous ne pouvez pas bénéficier du régime fiscal favorable étant donné que la société patrimoniale est une SA ou SC (voyez ci-dessus), vous pourriez être enclin à transformer la société en SPRL en vue de bénéficier du régime fiscal favorable.
La question a été récemment posée à l’administration fiscale (« Commission de Ruling »), qui a considéré que, dans la mesure où la transformation de la SA en SPRL « apparaît » être motivée en vue de « bénéficier du régime fiscal avantageux », l’opération ne pourrait pas bénéficier du droit de partage.
Celui qui souhaite transformer sa société en SPRL en vue de bénéficier du régime fiscal avantageux doit donc, d’une part convaincre l’administration fiscale par des arguments non-fiscaux justifiant la transformation en SPRL et, d’autre part, laisser s’écouler un délai entre la transformation et la dissolution/liquidation de la société.
LA TRANSMISSION DU PATRIMOINE IMMOBILIER VIA UNE SOCIÉTÉ PATRIMONIALE PRÉSENTE-T-ELLE UN INTÉRÊT ?
Vous vous êtes peut-être demandé si vos biens immobiliers pourraient être apportés à une société patrimoniale pour ensuite transmettre les actions de celle-ci à vos enfants. Vous avez peut-être été découragé par les conséquences fiscales de la détention de biens immobiliers par le biais d’une société patrimoniale. Pensez, par exemple, au droit d’apport élevé pour les biens immobiliers destinés à l’habitation ou encore l’imposition au titre d’avantage de toute nature de la mise à disposition du bien au gérant ou à l’administrateur de la société (pour ces aspects, nous vous renvoyons à notre précédente contribution “Détenir un bien en société, un bon plan ? » parue dans le magazine Analyse de mai 2015). Ces aspects rendent la société patrimoniale beaucoup moins attrayante.
Si toutefois, vous avez opté pour cette solution (pour des biens immobiliers autres que ceux destinés à l’habitation), une économie substantielle de droits de succession peut être réalisée. Pour preuve, la pression fiscale globale s’élève à 5,9% pour les biens immobiliers situés en Région flamande et 4,8% pour les biens immobiliers situés en Région wallonne, ce qui est un coût encore raisonnable pour le transfert d’un bien immobilier (même après la réforme des droits de donation intervenue dans les trois régions). En matière d’impôt des sociétés et de précompte mobilier, nous supposons ici qu’il n’y aura pas de plus-value réalisée ni de boni de liquidation ou un montant relativement faible, de sorte que ces impôts n’affectent pas les pourcentages cités plus haut.
Notre équipe Wealth Planning & Structuring reste à votre entière disposition pour toutes questions et ou informations additionnelles.
[1] Société privée à responsabilité limitée
[2] D’autres situations particulières peuvent être rencontrées. Celles-ci ne peuvent pas être traitées dans la présente contribution.
[3] Société en nom collectif
[4] Société en commandite simple
[5] Société privée à responsabilité limitée
[6] Société agricole
[7] En fonction de la région où se situe le bien; en Région flamande 10%, en Région de Bruxelles-capitale 12,5% ou en Région wallonne 12,5%
[8] 1% pour les biens situés en Région de Bruxelles-Capitale et en Région wallonne et 2,5% pour ceux situés en Région flamande.
[9] Société anonyme
[10] Société coopérative
[11] C’est ce qui ressort de quelques décisions administratives émanent de l’administration fiscale (cfr. Circulaire dd. 24 décembre 1958, n° 36, Décision dd. 17 mai 1960, n° E.E./76.113 et Décision dd. 11 février 1976, n° E.E./84.237, consultable sur www.fisconet.be)